jeudi 27 janvier 2011

L’innocence à Auschwitz

 Je n'avais pas encore quatorze ans, mais j'en faisais beaucoup plus, d’ailleurs le petit copain de ma soeur aînée s'y était maladroitement trompé;  Ma soeur avait dix huit ans et j'étais avec elle lorsque nous rencontrâmes, au hasard des rues, certainement, Philippe. Elle le salua gaiement, puis commença à me présenter:

Philippe, voici

Il l’interrompit

Andréa, quelle chance de te rencontrer enfin!

La gaffe, Andréa, la déesse mise sur un piédestal par ma soeur aînée, belle, intelligente et tout. Il fut aussitôt interrompu:


Non, c'est Pénélope, ma petite soeur prendre l'air le plus dégoûté possible pour prononcer ces deux derniers mots, elle a treize ans.

Elle fait beaucoup plus vieille, désolé de m'être trompé!

Moi, j'étais ravie.

Je ne m'étais pas éternisée dans mon enfance et étais en seconde, avec des copains plus âgés que moi; moi, j'étais ravie. J'étais subjuguée par l'intérêt que nombre d'entre eux me portaient, et surtout par les guitaristes qui animaient les récrés, cigarettes et Peace and Love, nous  étions dans les années soixante dix.  L'un d'eux, au nom en ski, bouille ronde et bouclettes brunes m'avait conquis en jouant d'un air si romantique: Jeux Interdits. J'étais jeune, et j'étais ravie. Un jour, il me demanda:

Tu n'es pas juive, toi?


Non, pourquoi?


Comme ça pour rien?


Non, dis pourquoi!


Tu as le nez d'une juive, mais je me suis trompé,c'est tout!

C'est comment le nez des juifs, beau?


Oui très. Alexandre se remit à gratter sa guitare.

Il avait semé une graine, je ne savais pas ce qu'était le peuple des juifs,  si ce n'est qu'ils étaient ceux qui continuaient l'ancienne religion. Personne ne prononçait jamais le mot de juif à la maison, séquelle de la guerre chez les adultes à l'époque.

J'étais, ce que je nomme à présent une Zifra, c'est à dire dévoritivore de tout ce qui se lit,  preneuse de toute histoire.Naturellement, j'écumais toutes les bibliothèques à ma portée sur tout ce qui concernait de près ou de loin  les juifs et passais un mois ou deux à pleurer toutes les larmes de mon corps, la nuit, engloutie sous mes draps.Je ne parlais à personne de ma plongée en enfer, mais elle fut longue et très douloureuse.Je me souviens de récits dont la seule évocation, aujourd'hui encore m'anéantit.

Comment une telle barbarie est elle possible?

J'étais jeune mais nettement moins ravie, peut être un peu moins jeune. Je vieillis un peu plus en apprenant les révolutions française, russe, Mao, Pol Pot, Le Rwanda, et tant d'autres horreurs encore.

Jamais je n'aurais envoyé mes enfants à Auschwitz, ils sont innocents comme tous les enfants,et je ne vois pas pourquoi je leur ferai une telle violence. Aujourd'hui encore je ne regarde jamais aucun film sur la Shoah ou les ghettos, pas même La liste de Schindler ni même La vie est belle.


Etre confronté à la réalité de l'horreur passée  rend il plus attentif aux horreurs présentes? Je ne le crois pas, car les horreurs changent de visages et bien des gens sont trompés par les masques nouveaux qu'elles prennent. Certains croient reconnaître l'horreur dans un masque ressemblant à ceux utilisés dans le passé, d'autres croient savoir quel masque l’innommable va prendre dans le futur proche.

Parmi les enfants confrontés à la violence il y a des enfants qui s'insensibiliseront à la violence, dressant un mur entre eux et le monde extérieur, d'autres seront tellement meurtris qu'ils resteront impuissants devant l’inacceptable, d'autres encore auront la tonalité juste et retireront tous les enseignements de ce qu'ils auront vu. Je ne sais pas si on peut connaitre d'avance quelle sera la réaction  de chacun, mais je me suis toujours opposée aux voyages de classe tant à Auschwitz que simplement dans un mémorial.

Ne fais pas à autrui, ce que tu n'aimerais pas que l'on te fasse.



                                 Pas envie de photo de barbelés, plutôt ce piano, échoué, à Miami il y a peu




Demain, il y aura 66 ans que le camp fut fermé, ce camp qui cristallise tellement l'horreur qu'en pèlerinage expiatoire nous y envoyons  des classes entières de jeunes, est ce nécessaire? Utile ou même simplement souhaitable?

4 commentaires:

zenondelle a dit…

Touchée par votre billet sur le blog de "Tous les jours dimanche", par l'invitation à l'ouverture, à la respiration et au détachement, je découvre votre espace ... Magnifique!
Votre texte fait écho à mes plus sombres obssessions, cette mémoire qui a tant brisé...
je ne peux m'empêcher de partager avec vous l'extrait de la Symphonie 3 de Gorecki interprétée à Auschwitz lors du mémorial de la Shoah, "lamentations". Sublimation de l'horreur.
www.youtube.com/watch?v=miLVOo4AhE4
(si le lien ne fonctionne pas, vous le trouverez à Gorecki Auschwitz sur google)
Bien à vous
Zénondelle

Ladywaterloo a dit…

Je suis toujours touchée lorsque je reçois des compliments, avec l'envie de me retourner pour regarder derrière moi, la personne qui mérite cela, merci.

La sublimation de l'horreur est cruelle et dans cette symphonie elle devient témoignage que nul ne pourra jamais oublier ni même simplement occulter.

Pascale a dit…

Oui mais...
Je comprends bien le dégout de la violence, seulement je crois qu'il ne faut pas, jamais, oublier qu'elle a eu lieu. En parler seulement ne suffit pas, voilà pourquoi nous sommes allés à Dachau avec les enfants de 10 ans, à Berlin au mémorial des déportés juifs, et avons quelques livres à leur niveau (Anne Frank, entre autre) pour que cette horreur ne soit pas qu'une histoire mais une réalité.
J'aime votre blog que je découvre comme zenondelle, Authentique, et parfois drôle. Merci.

Ladywaterloo a dit…

Bienvenue Pascale, et merci..

Si vous emmenez des enfants faire des visites dans des lieux si épouvantables, faites attention aux hyper sensibles, j'ai encore des cauchemars dus à ces lectures des dizaines d'années après.

J'ai visité Le Chemin des dames, enfin,j'aurais du, mon prof d’histoire me voyant me décomposer au fur et à mesures de mes pas, a eu la gentillesse de nous proposer de ne pas entrer dans le musée.

Nous fumes trois à rester dehors, et nous ne nous amusions pas, nous étions tétanisées de froid, d'horreur.