dimanche 6 janvier 2013

De poussières et d'os.

On croit parfois que le deuil cesse un jour, il n'en est rien, il ne cesse jamais.

Je suis restée bloquée à la mort de mon frère aîné.  Il s'est suicidé et ne s'est pas raté. Il avait 17 ans et neuf mois dirait ma petite fille,  je venais d'avoir 14 ans.

Il ne se passe pas de semaines, sans qu'encore aujourd’hui je ne pense à lui.  J'aimerais, à ma mort, qu'il vienne me chercher, me donner la main et me faire trouver l'insouciance de l'enfance que je n'ai jamais eu.

Je ne sais pas ce qu'est faire son deuil, j'ai choisi positivement de continuer à vivre, mais je sais que cette mort dramatique a entraîné le malheur dans ma famille,  mort de mon père, suicide de mon frère cadet, pas raté, non plus, ça, c'est peut être le seul truc que dans ma famille on ne rate jamais, les suicides.

J'ai souvent été tentée de mettre fin à mes jours, et vraiment, à certains moments seule l'idée de la peine de mes proches m'a retenu de passer à l’acte.  J'ai trop souffert de ces morts pour  infliger aux autres cette souffrance, même si parfois j'ai presque franchi le pas,  continuer ce martyre familial m'a été impossible, comme un grand brûlé ne peut infliger de brûlures aux autres.

Mon frère est mort en criant "sauvez moi" Je vous en supplie, sauvez moi". On me l'a dit alors que j'avais 14 ans, on a marqué mon âme au fer rouge. Mais on m'a fait promettre de ne rien dire à ma mère, qui souffre tant. Je hais souvent ma mère, car je sais au fond de moi qu'elle est responsable de ces malheurs, pas volontairement,  mais elle nous a jamais aidé, elle a "fait de son mieux", le mieux eut été qu'elle n'ait pas d'enfants.

J'hésite parfois aujourd'hui encore à lui téléphoner, mais l'idée qu'elle me dira

Bon, penelope qu'y a t-il de neuf chez toi?

Personne n'est malade, tout le monde va bien?

Quel temps fait il chez toi?

Chez moi, il n'y  a pas de mort, et mes lèvres brûlent encore de lui demander de cesser ses paroles stupides. Alors je ne lui ai pas téléphoné.

Lorsque je mourrai, j'espère que mon frère viendra me chercher, j'espère retrouver aussi  mon père et mon frère cadet. Je ne sais pas si j'aurai envie  de revoir ma mère un jour.

Pourquoi j'écris ces mots de désespoir et de haine, peut être pour m'en soulager. Si un jour quelqu'un tombe sur ces mots en ayant envie de mourir, sachez le, ne passez pas à l'acte. J'ai survécu à tout, en règle générale j'aime la vie que je me suis donnée, la vie mérite d'être vécue, si on aime vraiment, on est aimé en retour.

Aujourd’hui encore plusieurs décennies après, je me retrouve seule, et parfois une seule image celle de mon frère aîné mourant, et souffrant, et hurlant   me torture lorsqu'elle s'imprime dans ma tête, comme tout à l'heure, me surprenant alors que je ne m'y attendais pas.


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