En 2003, alors que nous passions notre premier été dans la maison, l'été fut affreusement sec et chaud. Nous pestions tous, nous venions de vendre une jolie ferme en altitude avec piscine, et nous nous retrouvions presque dans la vallée dans une maison où tout restait à faire. Cette année là de plan d'eau en piscine municipale nous étions presque comme des moutons à chercher sans répit de verts pâturages.
Je revois la cuisine avant les travaux, les murs vert d'eau ornés de torchons imprimés de calendriers ou de pièces de bouchers en décoration comme cela se faisait dans les années 70, une vieille radio sur une table roulante qui égrenait jour après jour la sinistre comptabilité des personnes âgées mortes seules, chez elles. Chaque bulletin d'informations faisait grimper d'une marche encore ma culpabilité.
Maman vit seule dans son mas, elle a préféré installer son appartement au premier étage, moins humide l'hiver mais bien plus chaud l'été. L'escalier est en pierres, brutes, aux arêtes tranchantes aussi descendre au jardin n'est pas très facile. Chaque jour ou presque je lui téléphonais.
Allo, maman?
Penelope, mais qu'as tu encore à me dire?
Euh, tu vas bien bien maman?
Mais oui, je vais bien, suivait un long descriptif de son installation avec ventilateurs, serviettes mouillées de l'inconvénient de vieillir , de l'ennui de vieillir seule, mais de son organisation satisfaisante malgré ses nombreux maux de santé...
A l'énoncé des températures régnant dans son salon et sa chambre j’essayais en vain de la convaincre de s'installer dans le bas du mas où elle disposait de chambres fraîches ainsi que d'un salon d'été avec kitchenette, il me fut impossible d'y arriver. L'année suivante, mon frère cadet, pragmatique, lui a installé une climatisation réversible.
Invariablement la conversation se terminait ainsi
Penelope , je t'aime bien mais ça va être l'heure des chiffres et des lettres!
Heure idéale pour appeler maman, elle adore cette émission et se trouve donc près du téléphone, qu'elle entend alors.
Je ne sais combien de gens cet été furent culpabilisés à l'idée de ne pas vivre avec leurs parents âgés, mais j'imagine que nous fûmes nombreux. Ma soeur pousserait volontiers maman dans une maison de retraite, afin de rompre sa solitude et lui faciliter au maximum son quotidien, maman s'y refuse et je la comprend et l'accepte. Pourtant l'idée de choisir une maison de retraite très confortable nous dédouanerait tous de cette responsabilité dont nous ne voulons pas.
Les relations parents enfants, une fois ceux ci adultes résultent d'un tas de choses, la vie commune, son train train quotidien ou l'absence de cette routine, une simple vie avec les joies et les drames. Mon enfance parut se solder par un drame dont, en fait, je ne me remis jamais complètement. J'en accusais d'abord mes parents silencieusement, nous ne parlâmes jamais mes parents et moi, de mon frère après sa mort, le sujet était "tabou". Plus tard j' arrivais à pardonner en comprenant que les mères ne peuvent donner que ce qu'elles ont, pas plus. Après tant d'années il en résulte cependant qu'un océan de tristesse nous sépare maman et moi, notre passé me saute au visage à chacune de nos rencontres, j'ai cependant de la compassion pour elle qui a eu des enfants si différents d'elle qu'elle n'a pu les élever vraiment en leur donnant envie de vivre. Elle n'a pas eu les enfants qu'elle aurait aimé.
A l'époque les relations parents-enfants étaient fort différentes de celles qui sont la norme aujourd'hui., Maman s'occupait remarquablement de nous, matériellement,, repas, linge, ménage.. et confiait tout le reste à la Providence, c'est à dire essentiellement aux écoles religieuses où nous étions scolarisés. Une fois sortis de la petite enfance, nous ne parlions jamais à nos parents en dehors du strict nécessaire: rapport d'école, tenue des chambres. Aucun sujet personnel n'était abordé, mes parents ignoraient tout de nos amis, qu'ils ne connaissaient pas, de nos lectures, de nos pensées, de nos aspirations, de nos rêves. La majorité des enfants, étaient, je crois, élevés ainsi. Les relations parents enfants se distendaient presque automatiquement à l'âge adulte, surtout si l'éloignement géographique survenait.
Depuis longtemps j'ai compris que je ne prendrai jamais maman à la maison, de même je n'irai jamais chez mes enfants, plus tard. Vivre chez ses enfants, même en s'entendant remarquablement bien est souvent très difficile autant pour les adultes recevant que pour les parents reçus.
Ce langage là, est réprimé par la société, avec juste raison, il est normal de soutenir ses parents âgés. Parmi mes amies, certaines s'entendent extrêmement bien avec leurs parents, d'autres pas. Il ne me parait pas plus évident d'ailleurs dans les deux cas de recevoir pour quelques mois ses parents, une de mes amie a dû jongler ainsi, entre adolescents et parents âgés à la maison. l'ambiance de sa maison en fut radicalement changée, les enfants ne recevaient plus d'amis chez eux et se mirent à fuir leur maison chez des copains où le salon ne retentissait pas de l'antienne des chiffres et des lettres à 17h30 je regarde cette émission, que j'aime bien, assez souvent l'hiver c'est un exemple imaginé, je ne sais pas si la mère de mon amie regarde cette émission. Mon amie se mit à déprimer et fut heureuse lorsque ses parents purent retourner chez eux.
Je sais au travers de tant de confidences que de petits drames en vraies tragédies, le silence dans les relations familiales est un poison bien pire que la parole, je me suis longtemps délectée des romans de Mauriac qui parle si bien de ces silences mortels que rompait seule l'horloge qui sonnait.
Die Spinnerin
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