mardi 31 mai 2011

Adieu à une vieille dame

De ma maison de campagne, seule une fenêtre s'ouvre sur les maisons voisines, fenêtre de la cuisine qui donne sur la fenêtre de la salle de la belle ferme voisine. Tous les matins , je vois les volets s'ouvrir, le portail clore ou non leur cour et j'assiste ainsi  sans le vouloir à la vie de cette maison. 


Dimanche entre four et jardin, j'avais bien remarqué le ballet incessant de voitures, mais un jour de fête des mères quoi de plus normal? Odette avait élevé ses cinq enfants et l’aîné de ses petits enfants fut son petit dernier, entre la ferme, les soins aux enfants, la soupe, la cuisinière à bois, elle ne se reposait guère. 


Après la retraite de son mari, éleveur, ils avaient gardé quelques bêtes, sans lesquelles ils n'imaginaient pas vivre: un  petit troupeau de moutons, des lapins, une basse cour ainsi qu'un potager qui assurait la soupe toute l'année. Odette était très fière d'habiter la si belle maison que ses grands parents avaient fait construire en 1900. Sa grand mère lui avait légué sa maison,  à condition qu'elle prenne en charge "la petite", sa  jeune soeur handicapée chez elle jusqu'à sa mort. La vie  n'a pas bien choisi l'heure des départs.


Pour la Toussaint, il y a eu deux ans, le Jean est parti, dans son sommeil, sa femme fut épouvantée de le découvrir froid à son réveil, elle dormait à ses côtés, la mort  a fauché l'un dans son sommeil sans même  réveiller l'autre . Dimanche matin, le plus jeune  fils d'Odette  habitant le même hameau inquiet de voir les volets fermés est allé voir sa mère, il l'a trouvé, froide dans son lit, la mort l'a ravie elle aussi en silence, son coeur s'est simplement arrêté de battre, trop usé, à 75ans. La tante, handicapée de naissance et atteinte de Parkinson attendait dans son lit médicalisé que quelqu'un puisse s'occuper d'elle,  son coeur n'est pas usé par les travaux ni les soucis, nul ne sait ce qu'elle va devenir à présent.


Le hameau a perdu son âme, Odette était la gentillesse faite femme, modeste, discrète, intelligente, la vie difficile ne l'avait pas épargnée mais elle avait su garder ses valeurs et donner du sens aux petites choses de la vie, elle acceptait simplement, avec amour, le sort que la destinée lui avait fait. Elle avait dans son regard  cette  flamme qui danse moqueuse et pleine de joie alors que les ennuis de santé l'accablaient de plus en plus.




Ce matin, la ferme avait ses volets ouverts, mes jeunes voisins viennent s'occuper de la tante, et se dessine déjà dans les conversations tant d'interrogations. Que faire de cette vieille femme? Comment payer une place dans un établissement spécialisé? Que faire surtout de la ferme? Doit on  vendre la ferme des arrières grands parents qui a fait la fierté des quatre générations? Qui aura les moyens de racheter à ses frères et soeurs leurs parts? J'ai vu dès dimanche soir, le souci dans leurs yeux, le dernier fils vit avec sa jeune femme et leurs deux petites dans une petite maison qu'ils pensaient agrandir, j'ai vu l'envie de reprendre la charge dans le regard du ménage: ferme, troupeau, vieille tante, cet héritage leur parait naturel à assumer. Une cinquième génération reprendrait alors le flambeau, c'est ce qu'auraient voulu les parents, mais qu'en sera t-il vraiment?


Demain ils seront tous à porter en terre l’aïeule qui trouvera enfin le repos aux côtés de son mari. 

4 commentaires:

Alice a dit…

Tres bel adieu à cette voisine, que je connais peu, ce billet m'a émue!

SylvieT a dit…

C'est dur de perdre sa maman le jour de la fête des mères.Triste dimanche pour ces enfants. De tout coeur avec eux. laissons leur le temps du deuil, la vieille tante handicapée trouvera sa place comme elle l'avait trouvé avant, elle vit, elle! Pourvu qu'elle ne soit pas enterrée "vivante" comme tant de personnes handicapées a qui on a supprimé toute vie sociale et qui se retrouvent vraiment seuls du jour au lendemain. Laissons les enfants faire ce qui leur semblent le mieux.

charlotte a dit…

c'etait une dame au grand coeur, c'est certain, Pierre et Sacha etaient tristes pour les petites voisines qui ont perdu leur grand-mere.

zeenondelle a dit…

Adieu à une grande dame ... merci à celle qui la raconte. C'est un beau texte.
Zénondelle