mercredi 9 juin 2010

Un poisson rouge et deux géraniums.


 Cela se murmurait depuis bien longtemps, raillé par certains, dédaigné par d’autres, soigner un poisson rouge et deux géraniums aide à vivre.

Qui ne connait de vieille dame qui meurt deux mois après son entrée dans une maison de retraite, soupirant après son minuscule balcon encombré de pots de fleurs, désuètes et pathétiques, œillets d’inde et giroflées mauve, les surfinias elle ne connait pas.  Elle a confié à sa belle-fille ses précieux pots qu’elle n’a jamais pu emporter.

« Vous n’y pensez pas, Mamie, le jardin là-bas est si joli ! »

Elle est certaine que celle-ci s’en est débarrassée discrètement.

« Elle est bien gentille ta maman, mais ces giroflées vraiment sentent le cimetière… »

Les enfants sont contents, la maison de retraite est en centre-ville, elle peut aller chercher son journal,  il y a même un jardin  que des jardiniers-pro  surveillent jalousement. Tout est aseptisé, et si machinalement elle enlève une rose fanée, elle se sent coupable, ce n’est pas son jardin. Une « surveillante  » la voyant lui dit :

« Madame  Vieuxtant » ne travaillez pas ! Allez donc rejoindre les autres, ce matin il y a  deux ateliers, poterie et cours de tai-chi-chuan»
Madame Vieuxtant s’en moque ; jouer avec de l’argile lui parait débile, elle n’a plus cinq ans ; et elle trouve ridicule les exercices de Tai-chi, autant faire des mots croisés, mais l’ennui gagne et la déprime aussi. Cette maison, elle l’a nommé le pouroir. Pourrir et mourir.

Elle peut mourir, personne, ni rien n’a besoin d’elle. Plus besoin de se réveiller pour enlever des fleurs fanées, surveiller l’éclosion des bourgeons, rien ne nait, tout est déjà mort.

Lorsque je serai vieille et grabataire, je souhaiterais  un aquarium dans ma chambre et des potées perso sur le rebord de la fenêtre, sinon, c’est non !

Je passe déjà souvent de grands moments auprès de mes poissons rouges, leurs conversations m’enchantent et leurs comportements m’intriguent. Je reviens du bassin, apaisée et bien loin de toutes les tracasseries petites et grandes, bien loin des angoisses du monde.

A la belle saison  dès potron-minet je me lève pour faire le tour de mon  jardin. J’adore son odeur qui varie, fumier de vache,  seringats enchanteurs, herbe mouillée et coupée,  terre chaude et milles autres senteurs  encore.  J’adore couper les fleurs fanées, surveiller les colonies de pucerons et tant de petites choses, qui tous les jours sont les mêmes et tous les jours varient. Sans jardin je disparais, je le sais bien ! Je pense d’abord disparaitre de moi-même puis insidieusement je disparaitrai aux autres, aussi.

 (pour les ignares) branche de seringat, il manque son divin parfum!


Peu à peu un peu partout dans  hôpitaux et maisons de retraite fleurissent des jardins, non conçus et ni  soignés par des professionnels ;  moins beaux, ils sont choisis, réalisés et entretenus par les habitants de ces lieux de souffrance. La nature soigne l’âme. Et sans âme le corps ne vit pas.

2 commentaires:

Palapen a dit…

Votre regard est d'une humanité qui réchauffe, quand bien des choses sont moches autour de nous. Merci.

Ladywaterloo a dit…

Merci! :)

Les choses moches ne sont que trop présentes en ce moment avec en dégât collatéral terrifiant une exacerbation des relations entre les gens, un tissu social qui craque et se déchire, s'envie et se bat.

Rien ne tout cela ne nous aidera à nous en sortir, mais tout peut changer très vite; heureusement, le pire n'est jamais sur.