vendredi 7 mai 2010

Le marché de Sidi-Bel-Abbes.


Maman sans être véritablement une pied-noir, elle considère ce mot comme une insulte, en est presque une. Lorsqu’elle se maria, elle trouvait naturel de suivre son mari où qu’il aille, papa était militaire. C’est ainsi que jeune mariée elle se retrouva à Sidi-Bel Abbes( سيدي بلعباس) avec deux bébés. Connaissant fort bien ma mère, et mon père,  j’imagine que les faits se déroulèrent à peu près comme cela.



                                       carte tirée du site les juifs d'Algérie



Un matin dans la cuisine, papa lui demanda
« Que fais-tu aujourd’hui, ce matin, ma chérie ? »
Maman, « Rien de particulier »
« Tu ne sors pas »
« Non, je reste à la maison »
Maman devait se douter que papa préférait qu’elle limita au maximum ses sorties, et papa ne voulait pas inquiéter maman. Dans la matinée, maman s’aperçut qu’elle manquait de persil, sans persil, elle ne pouvait faire le plat qu’elle escomptait. Elle prit mon frère et ma sœur, bébés, dans la poussette et alla au marché.

Le marché était désert, pas de chaland, très peu de commerçants ouverts. Cela surprit maman qui néanmoins de fil aiguille, profitant de ce qu’il n’y eut pas foule, fit son marché. Elle vit alors quelques échoppes s’ouvrir. Les gens l’observaient, et ne lui disaient rien, chuchotant sur son passage elle voyait qu’il se passait quelque chose, mais ne savait pas quoi.

Le soir venu, papa lui dit qu’il y avait eu une menace d’attaque de fellaghas sur la ville. En fait, plus exactement, des menaces d'attentats, à la bombe, eh, oui.. Cela existait déjà. Puis en voyant la femme du lieutenant se promener avec ses bébés comme si de rien n’était, les gens se dirent que non, ils ne risquaient rien, et peu à peu la vie reprit. On ne sut jamais si l’attaque aurait eu lieu ou pas si maman n’avait pas décidé d’aller acheter du persil.

Je naquis quelques temps plus tard, et toute petite, me souviens d’avoir jeté des pinces à linge du haut de la terrasse à Oran, en criant très fort, ça je savais faire : « Algérie française, Algérie française».
 Maman fait partie de ces gens qui n’acceptent pas que le monde qu’elle connait bouge, et change, même si, dans le fond, cela vaut mieux. Elle  n’acceptait pas que l’Algérie prenne son indépendance. Et moi, j’étais surement précoce mais n’avais pas vraiment une conscience politique très éveillée, je reçus une monumentale fessée.

Je me demande la tête que je ferais, si un jour, dans une rue à Marseille ou à Cambrai, je suis bombardée de pinces à linge et levant la tête je vois un petit bout haut comme deux pommes et demie crier :

« La France, algérienne, la France, algérienne »

Les choses changent, toujours, et parfois il suffit d’une rumeur pour changer le cours de cette évolution, parfois  la précipitant ou l’anéantissant.

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