J'ai treize ans, je suis, en troisième, c'est le printemps, mon collège se termine. Les religieuses nous ont permis d'avoir des jupes bleu marine, non plissées, le bonheur, enfin on va arrêter de me déguiser, l'espoir. Les religieuses, très pédagogues ont expliqué à nos mères qu'afin de nous préparer à nos vies de jeunes filles, il serait judicieux de nous faire porter des jupes droites. Par pur hasard, les jupes droites sont à la mode.
Maman me surprit agréablement en achetant un coupon de laine bleu marine, très foncé, le modèle qu'elle avait sélectionné me convenait, une simple jupe droite, enfin je ressemblerai à quelque chose, déjà mes cheveux m'arrivent à mi dos, et les gars se retournent sur mon passage.
Tout alla bien jusqu'au dernier essayage où maman décida de la longueur de la jupe, LE problème de l'ourlet. Maman voulait me faire un jupe à mi mollet, comme en portait les vieilles, c'était hors de question et je le lui dis, très fermement, et la prévins que je referai moi même cet ourlet s'il ne me convenait pas. Ne m'écoutant nullement, maman termina l'essai et me renvoya, le lendemain elle déposa sur la chaise de mon bureau la jupe terminée, mille fois trop longue.
Mon coeur se mit à battre très fort, je l'entendais dans ma poitrine, le soir, j'étais sensée travailler dans ma chambre au premier, en bas, j'entendais le journal télévisé que mes parents écoutaient. Sur la pointe des pieds, je suis allée dans la chambre de maman, prendre des ciseaux, du fil et une aiguille. J'évaluais "à la louche" la longueur à enlever et coupais sans hésiter cette large bande de tissu "en trop".
Sacrilège horrible.
Je me souviens très bien de mon émotion et aussi de ma détermination, j'enfilais une aiguillée ensuite et entrepris de refaire l'ourlet. Lorsque j'essayais ma jupe, je me suis bien rendue compte qu'elle avait un léger quelque chose dans l'ourlet, mais dans l'ensemble j'étais ravie de cette jupe, contente de moi, j'étais, enfin moi.
Tremblante, je décidais aussitôt de montrer à mes parents ma nouvelle jupe, je n'étais pas dans la provocation mais dans l'honneteté.
Je me souviens du silence entourant ma descente des escaliers, ma mère étouffa un cri et ne dit rien. Mon père ne devait pas savoir quoi en penser, en tout cas, il ne dit rien non plus. Le lendemain je suis allée à l'école, les jambes légères. Maman rectifia l'ourlet par la suite , mais ne m'en parla jamais, j'ai porté cette jupe des années, pour une fois, j'ai fait très attention à ne pas abîmer un vêtement.
Alice m'a dit que ma mère lui a parlé de cette jupe pour lui montrer à quel point je fus une enfant difficile. Peut être. Par la suite maman me laissa davantage choisir mes vêtements, sauf l'horrible robe avec laquelle je rencontrais mon mari, (robe que j'ai gardé en ex voto) et ma robe de mariée, pour laquelle je me suis battue pied à pied, hors de question que l'on me déguise en communiante prête au sacrifice alors que je voulais être une jolie jeune femme. Je portais au final une superbe robe, parce que j'avais réussi à avoir la robe de mes rêves, sauf pour le décolleté, qui n'existait pas, mais je n'ai évité l'encolure ronde ras du cou qu'en menaçant ma mère d'échancrer moi même, les ciseaux, c'est mon affaire!
Maman fut une excellente couturière, mais qui ne faisait jamais que ce qu'elle avait envie, sans jamais tenir compte de l'avis des personnes qui devaient porter les vêtements, enfin elle faisait mine de nous écouter et de prendre notre avis, mais son avis était supérieur et nous nous rangions à ses raisons, de même elle fut peut être une excellente mère, enfin, à son idée, sans tenir compte de la personnalité de ses enfants.
Je ne le savais pas, et maman non plus, huit mois plus tard, mon frère aîné se suicidera, avertie de manière étrange durant l'été, je ne voulais croire à cet augure, je fus terrassée, mais pas surprise, pouvait on vivre dans ce monde? Je faillis, moi aussi, en mourir.
3 commentaires:
Ces billets de rupture se sont affichés dans mon reader aujourd'hui... Ils sont très touchants et racontent beaucoup de votre enfance...
Je crois qu'avec le temps (merci Dolto, merci Edwige Antier) l'éducation des "foules" via les média a aidé les mamans à ne pas appliquer à la louche des préceptes d'autrefois.
Ce qui ne nous met pas à l'abri de quelques bourdes (heureusement sans gravité vu les belles tranches de rire en famille en triant une boite de photo avec les ainés)
C'est troublant, Pénélope ... nos mères auraient-elles été soeurs jumelles ?
Chez moi, la parole était moins déliée. Et parfois, j'ai reproduit avec mes enfants le même comportement !
Clo, tu es de la presque génération de mes enfants. Mais je ne sais pas si c'est une question de génération uniquement.
Quand il s'agit de vêtements, coiffure, nourriture, bien sûr, les comportements ont changé, quoi que ... Je constate qu'il n'est pas si évident, dans certaines familles, d'écouter vraiment les enfants, de leur faire confiance, de les accompagner sans se valoriser soi-même au travers de choix plus ou moins imposés, de leur permettre de parler en vérité.
Les familles aimantes se reconnaissent tout de suite (je me souviens, Clo, d'un magnifique billet que tu avais écrit pour l'anniversaire d'une grand-tante, et plus tard, son décès).
Elles ne sont pas la majorité, ces familles, savoir aimer est un exercice difficile.
J'aurais aimé glisser discrètement ces billets, loin derrière, comme on cache des pages anciennes.
Je me rends parfaitement compte qu'il y a une différence énorme entre mon ressenti de petite fille et les incidents évoqués. Maman ne se souvient même pas, je suppose, de ces petits vêtements que je détestais, je crois qu'elle ne savait pas que je ne les aimais pas, je me souviens aussi d'une robe en lainage écossais qui grattait et que je tentais maladroitement d'éviter de devoir la mettre en invoquant son inconfort et je me souviens de maman disant:
"Mais là, avec ton chemisier et ton collant tu ne peux rien sentir. Tu exagères penelope!"
Je ne pense pas que cela soit une question de génération, je crois que les enfants ont du mal à parler vraiment aux adultes et ont souvent peur de déplaire. Les mères sont toujours aussi imparfaites tellement parfaites!
Maman n'était pas du tout une mère maltraitante, elle nous aimait profondément et faisait tout "pour le mieux". Le seul reproche que je pourrais lui faire et qu'elle ne nous écoutait pas mais se projetait en nous, mais c'est terriblement humain, non?
Savoir aimer, savoir aimer ses enfants c'est ne pas les sublimer, les prendre tels qu'ils sont réellement, avec leurs désirs, leurs goûts, leurs facultés. Nos enfants sont tous différents, appliquer une éducation "de groupe" est une grave erreur, se projeter en eux également.
Je suis d'accord avec Anne, je crois que très peu de parents réalisent à quel point ils ne respectent pas la personnalité profonde de leurs enfants (cela va des vêtements au choix des activités du mercredi, parfois même au choix des amis, triés par les parents. Tout est fait pour qu'ils se conforment au résultat attendu, au détriment souvent de leur équilibre futur.)
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