jeudi 15 mars 2012

Cessez le feu en Algérie! (version enfantine)

Le 19 mars, cela fera 50ans que le Cessez le feu a été proclamé en Algérie, les troubles ne cessèrent pas tout de suite, mais enfin ce pays retrouvait sa liberté, il y a cinquante ans, j'étais une toute petite fille, en Algérie.






Je n'avais pas compris, jusqu' il y a peu, pourquoi cette scène me faisait pleurer, même si on connait ma fragilité, cette scène s'apparente chez moi à une scène primale. Elle est certes d'une violence extrême, mais Tarentino  a utilisé le manga pour tenter de mette un écran entre les vérités qu'il voulait montrer et nos émotions.

Je fus toute petite en Algérie, à Oran, puis Sidi Bel Abes puis Tlemen et sûrement aussi un camp militaire, ma tête retient une scène d'évacuation en hélico que ma mère a toujours nié, je devrais demander à ma soeur aînée, un jour, si je peux.

Enfant, enfin , vraiment toute petite, trois ou quatre ans, maximum, j'avais à l'heure de la sieste trouvé un jeu, génial, que je nommais aussitôt "Algérie française". Jamais mes parents n'avaient prononcé ces mots à la maison, mais j'avais deux aînés (entre sept et dix ans) et je crois que j'apprenais beaucoup de choses en les écoutant.


 Un jour, de mon lit, j’entendais mon jeune frère, un an de moins que moi, se bercer  dans son berceau avec cette antienne:
 
Algérie française, Algérie, française!


Patrick m'a donné l'idée d'un jeu génial qui fera peut être bouger les choses, Algérie française, ok, allons faire la guerre!

J'étais en petite culotte, ma robe était posée sur une chaise à côté de mon lit, c'est ainsi que je sais que c'était l'heure de la sieste, j'entends encore le bruit de la machine à coudre de maman. Tranquillement, j’entraîne mon petit frère vers le balcon, remplis ses mains  de pinces à linge en lui expliquant que c'était des bombes et qu'il fallait tuer les gens du bas, dans la rue, essentiellement des arabes. Il  me faut préciser  , que les termes arabes concerneront les maghrébins, français ou pas et ceux de français les non-maghrébins, blancs, sauf qu'on est tous blancs, donc c'est compliqué!




Prêt au tir? (enfin je ne sais pas ce que j'ai dit, genre, on y va?)


Il devait être prêt moi oui, je lançais toutes les pinces à linge que je pouvais, en bas dans la rue, en hurlant à pleins poumons

ALGERIE FRANCAISE, ALGERIE FRANCAISE, ALGERIE FRANCAISE


Je riais beaucoup, mon frère ne criait pas trop, trop bébé, mais lançait beaucoup de munitions, c'était déjà ça de gagné. Je pensais faire avancer la cause, je voulais gagner pour que la guerre s'arrête.

Maman, contrairement à son accoutumée, nous entendit très vite, nous prit par l'élastique de nos culottes, nous rentra, manu militari,  ferma les portes et j'ai eu," la" magistrale fessée de ma vie, mon frère ne fut guère inquiété, mais ce n'était que justice. J'eus du haut de mes trois-quatre ans, le culot de dire à maman, en hurlant:

Mais, Algérie française c'est  ce que tu veux, non?


Je ne sais pas ce que voulait ma mère, en réalité je ne sais pas si elle désirait quoi que ce soit, sinon que ces saletés de guerres se terminent, je ne sais pas ce que pensait mon père, il était très peu là, j'étais fort petite, et après il ne voulait pas en parler.

Je me souviens des nuits de tirs, de bombes, je me souviens de nuits que je passais dans la chambre de maman, qui tirait parfois des matelas afin que nous vivions ou pas, tous ensemble. Je me souviens surtout avoir passé des heures sous le lit de ma mère. Dès que des tirs se faisaient entendre, je me réfugiais sous son lit, j'étais toute petite, je pouvais un peu y gigoter, et les adultes avaient du mal à m'en retirer. J'entendais, la nuit surtout mais parfois le jour, des bruits de combats, j'avais peur.

Je craignais que notre immeuble ne s’écroule et sous le lit  de ma mère, substitut de ventre, je pensais être à l'abri. Maman m'y laissait, lasse d'essayer de m'en faire sortir, parfois Patrick m'y rejoignait et nous avions des séances de chatouillis propres à nous faire tout oublier.


Devenue adulte, lorsque je pense à notre vie, je me demande, pourquoi et comment je ne souhaitais pas sortir, je vivais enfermée mais je me souviens alors des bruits de déflagrations, les gens qui se mettent à l'abri, tout faisait tellement sauter mon coeur, que je détestais sortir de la maison. Lorsque les temps étaient calmes, j'allais à la maternelle du quartier, nous étions tous unis, arabes et français et tous les adultes faisaient un maximum pour nous faire oublier, nous protéger. La solidarité des mères étaient au delà de la politique, des coutumes, de tout, elle était humaine, simplement.


On ne raconte jamais la guerre vue, par les tous petits, pourtant nombre d'entre eux ont des souvenirs, je me souviens d'une sortie avec une amie de maman, je ne me souviens plus de son but, mais à un moment la rue se vida, cette jeune femme pressa ma main, me fit accélérer, et chanter:

Ams tram, gram pic et pic et collegram...


je n'arrivais jamais plus loin, d'habitude elle en riait, là elle recommençait et je suivais.

Ams tram gram, pic et pic et collegram
bourre et bourre et ratatam
Ams tram gram!


Nos pas s’accéléraient,  elle ne riait pas, et chantait mécaniquement,  j'ai enfin retenu ce refrain, soudain, elle se détendit, je ne sais pas pourquoi,  je n'avais rien remarqué,  puis j'ai vu de nouveau des rues avec des gens et nous sommes rentrées.  Je ne sais pas où nous étions, ni ce que nous faisions.  J'ai eu peur car elle avait peur, sans m'avoir rien dit, je suivais au plus vite, avec mes petites jambes, et ai appris, ce jour là, enfin cette si longue comptine, j'avais, trois ou quatre ans.

C'était la "guerre" et comme tous, j'avais peur de mourir. Je n'étais peut être pas en danger, je ne peux l'évaluer maintenant, mais les adultes avaient peur et cela je le savais.


Aujourd'hui, je ne peux encore entendre une déflagration sans avoir mon coeur qui bondit, un simple pétard  peut s'il me surprend me mettre dans un état proche de la panique, mes enfants en rient, mon mari ne comprend pas. Ils n'ont jamais vécu dans un pays où les gens se terrent et se défient les uns des autres, un pays en proie à une horreur: La guerre.

4 commentaires:

Martine a dit…

Cette vidéo est terrible et si je n'ai jamais vécu la moindre guerre, ça me rappelle des terreurs enfantines. Alors je peux comprendre ce qu'une guerre peut imprimer le cerveau d'un petit enfant.

jacqueline a dit…

Votre récit est très émouvant.

francoise a dit…

20 ans, mon mari on l'a pris pour l'envoyer faire la guerre en Algérie
je ne peux regarder rien de la guerre d'Algérie, en 1960 jusqu'à la fin
il a eu la chance de revenir vivant.
je trouve cette guerre terrible,
j'avais 12 ans en 1962...
je ne peux regarder la vidéo
je suis lâche

Ladywaterloo a dit…

@ françoise, tu peux regarder, je pense, La vidéo est terrible mais le montage permet de mettre un écran entre soi et ce qu'il décrit ( crime abject, crapuleux, pas de fait de guerre).

Le manga et le tempo choisis donnent du souffle à notre coeur, beaucoup de gens restent d'ailleurs insensibles devant cette brutalité.