mardi 25 janvier 2011

IVG ou suivi de grossesse? Euthanasie ou fin de vie?

Paris automne 1993, enceinte de six semaines, épuisée, je me suis rendue un matin gris dans cet (ex) grand hôpital parisien, Boucicault. A l'entrée j'ai du montrer patte blanche carte de sécu, mutuelle... Puis démoralisée, je suis montée au service de consultation. L'entrée était barrée par une infirmière assise derrière une simple table, avec trois piles de dossiers; les vierges, ceux barrés au gros marqueur rouge d'un IVG,  souligné deux fois, définitif et agressif, première blessure, et un second tas marqué  de  SG (suivi de grossesse).

Intimidée, je m'approche de cette femme massive, qui me fit asseoir après m'avoir salué brièvement, sans même lever les yeux du dossier qu'elle terminait de remplir. D'une voix de stentor, elle me fit redire noms, adresse, date de naissance, antécédents obstétrique, puis de la même voix dure, sans prévenir:

IVG ou suivi de grossesse?

Je sentis le monde basculer, ce bébé était désiré, j'avais fait une fausse couche en début d'été qui m'avait laissé meurtrie, et l'idée de ce petit dernier, malgré les difficultés qui entoureraient cette sixième naissance, était un rêve que mon mari et moi avions entouré de fausses bonnes raisons: Guillaume ne se sentirait pas seul, après le départ des quatre grands....

Pendant quelques secondes, je pouvais décider d'effacer cette folie, j'étais troublée et encore plus troublée d'être troublée. mais l'univers hospitalier, froid, hostile et dur m'incitait à renoncer, je n'y arriverais pas. Je me suis ressaisie, puis ai affirmé de la voix la plus ferme que je pus:

Suivi de grossesse.

Elle enchaîna:

Date des dernières règles?

Le dossier rempli, elle me désigna des chaises, et me dit

Asseyez vous là, on vous appellera.

Je fus ensuite accueillie par le docteur Granet qui m'aida  au printemps suivant à mettre au monde Valentin à la clinique Sainte Thérèse, j'avais fui Boucicault hôpital de mort et pas de vie, dans ma tête tout au moins.

Je sais que la loi Wiel est tout autre chose, elle doit permettre le choix aux femmes, le choix veut dire, compassion et aide, ce que j'ai entrevu m'est apparu comme un sale boulot dont le personnel hospitalier est chargé, permettre aux femmes qui pensent ne pas pouvoir élever de bébé de pratiquer une IVG . Surtout permettre à la société de se débarrasser du problème. Si cela est, à l'évidence pas respectueux de la vie du si petit, c'est aussi une violence faite aux femmes, nombreuses qui sont dans le désarroi.

 Une femme sur deux renonce un jour à une grossesse et subit une IVG. Les témoignages que j'ai entendu sont en général bouleversants. Jeunes filles n'osant pas dire non, à leurs parents qui menacent de couper les vivres, logements trop petits, chômage. Histoire de moments de vies difficiles. Tout ce que je lis ici ou là à ce propos se résume à des vieux cons qui disent:


Ya qu'à les interdire, s'ils ne baisaient pas, ils auraient pas de mômes, qu'ils assument!

Et d'autres tout aussi violents:

Permettons l'IVG jusqu'à cinq mois, partout et libres. Le droit de la femme à la maîtrise de son corps doit être complet.

Mis à part quelques exceptions, très peu d'initiatives pour aider les femmes, aucun soutien même léger, aucune parole d'apaisement, rien, le néant face aux doutes qui assaillent toute future mère.


 Je rêve d'une loi Weil vraiment appliquée avec aide aux femmes, délai de réflexion accompagné de soutien, et accompagnement jusqu'au terme de la décision, IVG, accouchement sous X, ou  naissance "ordinaire". Ne pas laisser la femme seule, quelle que soit sa décision. Jamais une naissance n'est normale ou ordinaire, chaque histoire de vie est une exception. Je rêve aussi que le remboursement de l'IVG soit supprimé (sauf décision de l'assistante sociale)L' IVG doit avoir un prix car un avortement n'est jamais banal, nier cette évidence est aussi nier l'importance de cette décision difficile. Je rêve enfin de contraception plus facile d'accès et gratuite, nombre de jeunes femmes débutent des grossesse non désirées car l'accès aux contraceptifs est difficile et cher.

Je rêve, je rêve et pendant ce temps là au Sénat une réflexion est en cours pour la légalisation de l'euthanasie. Je suis effrayée, car  je sais que l'enfer peut naître de bonnes lois. J'ai eu à suivre ces dernières années, malheureusement, plusieurs fins de vie essentiellement victimes de cancers. Personne, Dieu merci, n'a souffert, tous ont eu un accompagnement digne et se sont endormis dans la paix. Je ne sais pas si ces malades ont eu "la chance" d'être dans de bons hôpitaux, mais je sais que ce qu'on ne savait pas faire il y a vingt ans est possible à présent, de vrais soins palliatifs, qui permettent dans la paix d'aller  vers la mort, en se disant adieu, sans souffrance, le malade s'endormant un peu plus chaque jour, et un jour en s'endormant pour toujours.

 Cet accompagnement revient très cher, comme il serait cher d'aider les futures maman en difficulté qui matériellement ne voient pas comment accueillir un enfant. Mais la vie se résume t-elle à une histoire d'argent?

Pour des contraintes financières, des budgets explosés, la tentation de réduire à néant un personne vulnérable avec si besoin était une influence adéquate sur l'entourage désarçonné et blessé par le déclin de son parent.

Allez, il en a au maximum pour trois mois, soins difficiles à supporter, aucun agrément de vie! Je sais que c'est difficile, mais signez là! Il serait heureux que vous le fassiez, ne le faites pas pour vous, faites le pour lui! C'est une façon d'aimer que de savoir les aider à mourir.


Une société qui ne veut plus aider les plus vulnérables garde t-elle toute son humanité? Ce sont des choix essentiellement budgétaires, on ne peut pas tout faire, sachons accomplir  l'essentiel.






2 commentaires:

Co de contes a dit…

habituée à accompagner ces derniers moments..je ne sais comment me positionner.;choix cornélien...mais je crois que le choix ne se pose pas pour les anciens que j'accompagne..mais pour ceux plus jeunes..qui savent une issue fatale et en souffrance..enfin..je crois..pas facile vraiment...
il va falloir réfléchir vraiment

Ladywaterloo a dit…

J'ai, beaucoup de respect et d'admirations, pour tous ceux, qui comme vous, accompagnent les derniers moments. J'espère que vous êtes dans une équipe soudée car c'est un métier d'une richesse extraordinaire au point de vue humain mais extrémement dur.

Deux de mes frères, sont morts à 17 et 22 ans, je sais à quel point il est inacceptable de voir tous ces jeunes mourir.

Je pense que si il doit y avoir loi elle doit être établie avec les personnes accompagnant les mourants.

Le premier article du projet de loi, me faisait peur, car il laissait à tout un chacun le soin de désigner une personne qui serait son "porte voix" en cas d'incapacité du malade à s'exprimer.

L'angoisse et le désarroi des proches n'est probablement pas un facteur de décision. J'ai perdu, il y a peu, un ami, d'un cancer (métastases cerveau et foie, d'un cancer primaire, mélanome).

Il y a eu des moments où tous les proches souhaitaient sa mort, tout de suite, paralysé, incontinent. Les médecins ont pu opérer ses tumeurs du cerveau au laser (La Timone)lui offrant deux mois de plus, avec un assez bon confort de vie. Il a pu dire adieu à son frère avec qui il avait des relations distendues, régler ses affaires, préparer sa famille car lucide jusqu'au bout puis s'est endormi de plus en plus souvent, jusqu'au dernier moment peut être un peu avancé, avec toujours un dialogue entre l'équipe médicale et la famille.

Je crois que la nécessité absolue est dans ce dialogue entre une équipe et la famille. Est ce toujours possible?

Mais cela est seulement un point de vue, de l'extérieur. Je vous souhaite beaucoup de bonheur dans votre vie et vous remercie de faire ce que vous faites, au moment de passer nous avons tous besoin d'être accompagné.

Mon inquiétude concernait l'article I, particulièrement: I, B, 2

http://www.senat.fr/rap/l10-228/l10-228.html