vendredi 18 décembre 2009

Froid sans toit

Le temps glacial et la neige font remonter en surface comme de vieux débris le cas des mal-logés, et particulièrement des SDF. La cohorte des morts sans noms  est une blessure de notre société, blessure qui ne sait, heureusement, pas cicatriser.





Sans toit, ni loi, film merveilleux d'Agnès Varda (chanson Joan Baez)




" SDF" terme générique qui recouvre bien des situations différentes qui en les compressant au maximum concerne  encore environ  cinq ou six  populations très différentes, mais non étanches.

1) Le problème des travailleurs pauvres est certainement celui qui est le plus scandaleux, car à priori facile à résoudre. Il est vrai que le prix des locations est tellement exorbitant, que beaucoup de gens ne peuvent régler leurs loyers même avec des APL. Pour cela il faut une volonté politique, d’abord pour expulser des HLM les locataires qui n’y ont rien à faire (revenus trop élevés, personnes à la retraite gardant de précieux F5, pour 2 personnes) Ce ménage est difficile à faire mais nécessaire, et parallèlement construire. Construire, oui, mais de manière différente. Le niveau de prestations donné même par les HLM est tellement élevé que le coût de revient et de maintenance est prohibitif. (Revoir peut être certaines normes de confort, et d’équipement, surtout dans les parties collectives sujettes à des détériorations anonymes). Les espaces de vie doivent être davantage conformes aux attentes des locataires (taille des cuisines par exemple agrandies, suppression de l’entrée)

Les charges de ces logements doivent être également étudiées afin que cette population au budget très limité, n’explose pas son avenir en chauffage, électricité… Pudiquement je ne parlerai pas trop de tous ces organismes de crédits faciles qui sans état d'âme expulsent bien des gens sur les trottoirs de la consommation.La liberté d'emprunter doit être encadrée sérieusement car les progrès faits pour gérer les surendettements ne représentent qu'une goutte d'eau dans un océan de misère.

2 )Il y a ensuite une population de" vrais" sans abris, qui ne veulent pas et ne peuvent pas être logés ni dans des foyers d’accueil ni même dans des HLM d'où ils sont rapidement exclus lorsqu'ils en intègrent. (bruits, animaux, alcool, hygiène) Ceux-là, nul ne veut les voir, nul ne peut accepter leurs choix de vie, leur choix de ce qui nous apparait comme une non-vie. Ils préfèrent mourir sur le trottoir qu’être encagés. Il y a eu une expérience de cellules de vie mises à disposition, je crois, dans une forêt de la région parisienne, des abris en durs, à cout extrêmement réduits, devenant bien souvent d’une saleté repoussante, nous choquant dans ce désarroi intime qui nous y est démontré. Je pense alors à toute l’action des missionnaires en Afrique et ailleurs, détruisant huttes et cherchant à exterminer un mode de vie qui leur était insupportable. Respecter la liberté de l’autre passe peut être à accepter que des adultes dotés de leurs raisons fassent des choix de vie qui nous paraissent peuplés de dérives et d’absences.




3) Une minorité de « routards » souvent  bien organisés dans leurs vies, renonçant à beaucoup de choses pour sauvegarder leurs libertés. Ceux-là réintègrent parfois la vie « ordinaire » au gré d’une rencontre où simplement la lassitude aidant. Ils évitent eux aussi les foyers où trop d’insécurité, de saletés, de détresses humaines hurlent dans la nuit. Mais ils se débrouillent  souvent pour trouver des squats,pas trop pourris.

4) Environ 30% des SDF ont des maladies mentales. Scandale parmi les scandales, peu ou pas de structures pouvant les accueillir (là aussi problème de budget d'investissement puis  de fonctionnement pour des établissements jugés dignes, un peu la même problématique  que celle  des prisons.) Manque criard également de personnels volontaires pour les encadrer. La déficience des familles, à bout de souffle bien souvent, ou elles même écrasées par leurs propres problèmes jette ces malades à la rue. Cette population-là est la plus désarmée face aux perversités ordinaires de l'homme, donc la plus exposée à tous les crimes.





J’ai fait très longtemps de l’accueil de SDF, en ville, au sein d'une organisation caritative, et fus particulièrement touchée  par les jeunes, les très jeunes SDF, très fragiles, sans défenses,   incapables de se charger d’eux même. Les très jeunes, majeurs dès 18ans, dont on ne doit donner aucun renseignement aux parents qui téléphonent. Pas même leur dire si on les a vus… Saleté de majorité à 18 ans, saleté de respect de la vie privée, même si vous êtes en train de vous laisser mourir. J’ai eu ainsi plusieurs fois des parents, grands-parents au téléphone, désespérés ils recherchaient leurs enfants, voulant au moins régler leurs dettes, pour les aider….

Je vous en supplie madame, je vous en supplie

Mais au sein d'une association, on ne doit rien dire, sinon la confiance que parfois les errants nous accordent peut être ruinée, et les dégâts, plus grands encore. En stricte vérité il a du m'arriver une fois ou deux de donner un renseignement, pour que la  personne au téléphone cesse de pleurer. Saleté de vie.

Plus une société  se" perfectionne" plus elle laisse des gens sur le bas-côté. L’intolérance devenant de plus en plus grande face à ce qu’elle ne peut plus voir. Autrefois, il y avait dans chaque village, les « cas ». Le simplet que l’on faisait bosser pour la soupe, et dormait dans un réduit ; le vieil alcolo qui hurlait tous les soirs à la lune de se taire... La famille de « bons à rien » qui ne valant pas grand-chose arrivait plus ou moins à survivre aux abords de village dans une masure en bricolant de larcins et de menus travaux.Cette société là a disparu. La tolérance avec.

5)J’ai pris il y a peu de temps, un car SCNF, je ne recommencerai plus jamais. En montant l’odeur âcre faillit me faire redescendre aussitôt, mais je n’avais ce jour-là pas le choix. Une femme « des gens du voyage » était assise, un peu plus loin. Elle avait payé son voyage. Un creux de plusieurs banquettes marquait le territoire odorifique infranchissable. Je m’assis beaucoup plus loin et ouvrit la fenêtre, personne ne me dit rien. Cette femme-là, sa famille, sa tribu ne pouvait pas être intégrée dans une" cage à lapins", et elle ne le souhaitait surement pas. Je suppose qu’elle vivait dans une de ces caravanes, au bord de la rivière, un peu plus loin. Hier soir, j’ai pensé à tous les gitans, et me suis demandé plein de choses pour lesquelles je n’aurai jamais de réponse.



                                               

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