Mais tu ne te rends pas compte de la chance que tu as eu dans ta vie?
La colère me saisit, comment peut-on trouver que mon enfance insécurisante, décousue, fut une chance?
Tu as vécu en Algérie, pendant les évènements, au Cameroun puis tu as vécu dans la rue de Manitas de Plata, tu es partie ensuite...
Je ne voyais pas les choses de cette façon et le lui dis, mais réflexion faite, je sais que mon enfance chahutée entre pays et deuils, est de celle qui rend fort ou qui rend fou, ou alors amnésique.Je ne suis pas amnésique probablement pas trop folle mais pas obligatoirement plus forte non plus.
J'ai survécu et aujourd'hui, je voulais simplement vous parler du miracle de mes trois ans, passés à Montpellier, près de la rue Sainte Ursule.
Les chants gitans, spontanés, hors micros et caméras ont toujours ce parfum de magie, de paradis presque interdit. Je n'ai pas réussi à trouver des témoignages de cette époque, entre gitans, guitares et Foi, une vie en marge, qui à "l'époque" était encore possible, ces gitans n'étaient pas roms, mais sont , aujourd'hui,comme hier et à jamais seigneurs. Quelle place ont ils aujourd'hui? Noyés dans l'immense océan de gitans qui ne sont pas eux, ne leur ressemblent pas...
A Montpellier, je n'avais pas le droit de vivre, je devais fuir un tas de choses, j'étais trop petite, mais parfois, souvent à la belle saison, de mai en octobre, pour aller chez l'épicier, ou alors à Notre Dame des Tables je pouvais m'échapper, et j'étais magnétisée par la rue Sainte Ursule, je ne devais pas tourner à gauche (déjà^^^) mais le faisais. La musique m'envoûtait, j'avais un peu peur, on racontait tant d'histoires, mais j'adorais, je me souviens de toujours longer le trottoir de droite, déjà, en regardant mes pieds, je marchais le plus lentement possible afin de les écouter.
Imaginez, une ruelle, du linge aux fenêtres, le tout un peu crados, des gens assis dans la rue, sur les marches des petites maisons ou sur des chaises en paille, des gosses qui jouaient dehors, nulle voiture et les guitares. Je fus souvent interpellée n'ai jamais répondu, je regrette aujourd'hui, mais briser le tabou des enfants enlevés m'était terrifiant.
Il me semble que "Manitas de Plata" n'habitait pas toujours là, mais ses parents y vivaient, aussi la fête éclatait à chacun de ses retours.
Des guitares, des gens simples, merveilleusement en harmonie avec la musique, je ne me suis jamais sentie en danger, ils adoraient les enfants. Je les voyais aussi à la messe, à Notre Dame des Tables, pas loin de nous, mon père a alors imaginé de nous emmener à la messe le samedi soir, nous entendions encore les guitares et les chants en y allant, ou alors nous y allions le dimanche à la messe de sept heures, la ruelle dormait, seul le silence alors nous accompagnait.
Je n'oublierai jamais, ces fins d'après midi, où je m'échappais afin d'écouter, un peu, je me faisais toute petite, et ces moments volés de magie ont à jamais marqués ma mémoire.
A l'époque, je ne savais pas que vivaient près de chez nous, des mains d'argent, mes parents les ignoraient, de fait y vivaient des mains d'Or et non point d'argent, manitas de Plata et sa tribu, aucun enregistrement ne peut rendre justice à cette magie de la musique dans la rue, musique vivante, musique accompagnant, femmes et enfants, musique rythmant naissances et morts.
Un jour un mariage se fit et la musique enflamma le quartier, la fête dura il me semble deux jours, au moins, j'ignore aujourd'hui encore de quel mariage il s'agissait, j'espère que les mariés furent aussi heureux que la musique fut belle et les gens heureux.
Manitas de Plata est mort, aujourd'hui, paix à son âme, il emporte sans le savoir tellement d'espoir, d'amour, un peu de mon enfance aussi, des moments fugaces de magie volée
3 commentaires:
Quelle chance d'avoir habité près de ces gens !
J'adore Paco de Lucia, qui était un grand admirateur de Manitas de Platas. Brigitte Bardot l'adorait, elle aussi ! L'héritier de Django, disait-on...
Tu vois la chance que tu as eu? Ton mari a raison!
Rétrospectivement on s'en rend compte mais pas sur le moment, mais je regrette de ne pas avoir osé de braver encore plus les interdits familiaux.
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