Laissez les morts ensevelir les morts.

Mon père était nantais, il était né le 12 novembre 1928, il n'avait pas tout à fait quinze ans lors du premier bombardement de Nantes ce funeste 16 septembre 1943.

Il n'y a pas de guerre propre, il n'y a jamais d'un côté les gentils, très gentils et de l'autre des méchants très méchants. Dans cette guerre, il y a eu beaucoup de victimes, parmi eux, quelques salauds mais surtout  beaucoup d'innocents, civils et militaires.

Les commémos, me laissent toujours incertaine quand à la tonalité de mes sentiments,  les guerres mériteraient plus de respect,  respect pour ces morts, qu'ils soient français, américains ou allemands aussi. Pourquoi les chefs d'état actuels affichent ils un tel trimphalisme? Qu'ont ils fait de bien? Rien. Qu'ils rendent honneur à toutes les victimes de cette guerre est juste, mais cela pourrait se faire en mezzo voce, afin de ne troubler  ni ceux qui ont souffert, ni ceux qui en sont morts.

Ce funeste 16 septembre 1943, beaucoup de gens font en ville leurs courses de la rentrée, quand vers 16 heures, mugissent les sirènes de notre.. 321 ème alerte. Courageux par inconscience, les nantais ne descendent pas dans les abris. Ils vaquent à leurs occupations, continuent leurs achats dans les magasins qui ferment doucement leurs portes.

Je rentre avec ma mère du Secours National où nous avons reçu quelques vêtements usagés. Mon frère n'a pas voulu y venir. Un sourd bourdonnement s'entend, s'amplifie, devient ronronnement puis grondement. Et très haut à 7000 mètres d'altitudes, nous distinguons plus de 150 forteresses volantes en formations bien régulières. L'assourdissant vrombissement de leurs six cent moteurs fait vibrer l'air, accompagné par les éclatements secs des obus anti-aériens.

Sûrs qu'ils ne viennent pas pour nous, ne sont ils pas nos alliés! Nous suivons l'évolution des quadrimoteurs libérateurs. Nous les comptons, les saluons des bras... à  la barbe des frisés. Soudain j'aperçois comme des points noirs largués des avions. Puis j'entends de nombreuses et violentes explosions qui se rapprochent. mais c'est nous qu'ils bombardent!.. Comme des nuées de moineaux affolés, les gens paniqués ne sachant où s'abriter courent dans tous les sens. Sifflements et détonations, s'intensifient et  durent.. interminablement. Un homme hagard  couvert de plâtre passe en courant et crie

Tout le centre est démoli! Y a des blessés et des morts, partout!

à lire, ici,  le témoignage de Georges Douart, les bombardements de Nantes

Le témoignage de Georges Douart m'a d'autant plus touché, que papa ne m'a jamais raconté ce qu'il avait vécu, je sais qu'il vivait dans le centre de Nantes et il m'a toujours dit que les américains les avaient bombardés, alors que cela ne représentait aucun intérêt statégique, Saint Nazaire ayant déjà été détruite. J'imagine que les souvenirs de papa devait être plus ou moins les mêmes que ceux de Georges Douart, peut être papa a perdu des amis, des voisins, il ne nous en a jamais parlé, il attendait sans doute de devenir vieux et que l'on soit un peu moins jeune, je suis nettement moins jeune mais il n'est jamais devenu vieux.

Je n'aime pas les commémos, car elles sont réductrices, l'histoire officielle gomme ce qui n'est pas en harmonie avec ce que l'on veut laisser dans l'histoire. On a dit que les villes détruites le furent pas erreur, il y a eu beaucoup d'erreurs et peu d'explications, le temps n'était pas aux explications, et à présent les explications ne serviraient à rien, il est peu probable qu'elles soient honnêtes, car elles participeraient à l'écriture de l'histoire.

Les américains bien entendu nous ont libéré, sans les alliés nous aurions vécu sous le joug de  Hitler, combien de temps, comment, nul ne le saura jamais. Il ne sert à rien de regarder en arrière, un pays qui regarde trop en arrière est un pays qui fuit le présent et craint l'avenir. Le centenaire de la première guerre mondiale est, hélas, une très belle occasion pour tous les politiques, qui vont nous faire tenir des cierges allumés devant les monuments aux morts, en vain.

Laissez les morts ensevelir les morts