Des poules bien prévoyantes.

Mon vieux voisin est très surpris, il n’y comprend rien, ses poules c’est du grand n’importe quoi, elles sont devenues folles et vivent à contretemps, sans même regarder ce qui se passe dans leur poulailler.

Depuis des temps immémoriaux, les poules pondent lorsque la situation leur permet, leur instinct les pousse à ne point mettre en route une couvée si le temps est trop froid, ou trop chaud. Ainsi il n’y a pratiquement pas d’œufs de décembre à début mars, puis parfois au milieu de l’été, elles vont se promener, cocottent (si vous avez une bassecour pas loin vous comprendrez..) mais ne pondent pas.

Il y a de cela une semaine M’sieur Henri nous a proposé deux douzaines et demi d’œufs, je lui achète , pas très cher, la production de ses fières gallines, que j’en ai besoin ou non, d’ailleurs je m’en fais un devoir. Monsieur Henri en effet nous donne à foison : carottes et raves, cardes et échalas, haricots et persil… L’été, il rajoute sur ses cagettes, une brassée de fleurs formant de véritables bouquets campagnards que je dois un peu dompter afin de pouvoir les rentrer.

Mon voisin, embarrassé s’en est longuement expliqué à Lhom :

« J’y comprend rien, elles pondent avec ce froid, cette neige, cette glace, partout…. »

Il secoue longuement la tête, sort son mouchoir, se mouche l’air navré, puis reprend congé après avoir examiné  par la fenêtre de la véranda cette saloperie de temps qui serait propice aux œufs tout en enserrant la campagne d’une étreinte de glace.

Mais j’ai trouvé l'explication de cette situation incongrue. Très facile et logique. M’sieur Henri devient sourd avec le temps, vraiment sourd. Sa maison est à une vingtaine de mètres derrière la nôtre, et fenêtres fermées, malgré mon double vitrage, je suis parfaitement ses horaires et parfois reconnais l’antienne des émissions télé qu’il regarde. Nous n’avons pas vraiment les mêmes horaires ni les mêmes goûts  télé. A six heures du matin hiver comme été, la soupe est en train, et les exclamations de télé-matin ( ?) trompent sa solitude.

Ses poules ne sont pas sourdes, elles écoutent elles aussi la télé, hiver comme été, et suivent la progression du réchauffement climatique en direct sur antenne 2. Sont pas très fute-fute les poules, Il n’y a plus d’hiver qu’ils disent, donc elles pondent.  On devrait supprimer la télé aux bêtes, elles ne regardent même plus la campagne pour humer la froidure, mais se paniquent à cause du réchauffement.

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« Quand pondre ? Il s’agit de la survie de la basse-cour, cet été, il fera très chaud, ils l’ont dit à la télé, pas un temps à sortir un poussin de sa coquille ; pondons à présent, Lhenri nous donne du bon grain et du pain, nous y arriverons bien à  faire pousser les petits. » 

Le coq de son côté il dit rien, d’abord mine de rien, il a beau se hausser du col, ce n’est pas lui qui fait vraiment la loi, puis de toute façon, il n’a rien contre mettre des poussins en route, le travail, lui plait bien.

La plus vieille poule, chef-poule, avant de devenir poule au pot, reprend :

 « A la télé ils l'expliquent bien, ne pas confondre météo et climat, il ne faut pas se leurrer avec la neige, elle tiendra point, et demain le printemps suivi d’un long et torride été. A la télé sont moins arriérés que chez nous, on met en route la couvaille »

Et c’est ainsi que sous le regard médusé de M’sieur Henri les poules nonobstant voire snobant  neiges et glaces se sont mis à pondre tous les jours, un bel œuf pour chacune d’entre elle, en janvier....

Mais les poules auront-elles des dents bientôt, si d’aventure elles entendent un jour une émission sur l’évolution des espèces, chance je ne suis pas certaine que M’sieur Henri, écoute ces balivernes.